Du riz rouge de Madagascar, au sushi du Japon, un hommage la différence.
Il arrive parfois que l’on se sente différent des autres. Dans nos choix, dans nos façons de faire, dans notre personnalité… dans ce qui fait de nous la personne que nous sommes. Il peut aussi arriver qu’on ait du mal à toujours accepter cette différence. Peut-être est-ce votre cas ? Si vous avez répondu oui, cela me fait d’autant plus plaisir de vous partager mon histoire. Un voyage à travers l’humain. Une « ode » à la différence.
Naître quelque part
Née sur les hauts plateaux de la Grande Ile rouge au creux de l’Océan Indien, je grandis dans l’abondance d’amour et de fruits frais. Les vacances scolaires de mon enfance ressemblent à des cris joyeux et des journées délicieuses. Courant pieds nus sur les étroits talus des rizières, dévorant tomates juteuses et nèfles dorées.
Ces journées-là se passaient dans une petite ville agricole située à quelques heures de route de la capitale.
Mes premiers voyages étaient ceux qui nous menaient de la ville, à la campagne, à l’occasion de congés, pour rejoindre les grands parents et le reste de la famille. Lorsque nous ne prenions pas le train avec ma mère, mon père conduisait dans l’après-midi pour que nous puissions profiter des nombreux marchands ambulants au bord des routes sinueuses, au milieu des montagnes.
Les paysans de petits villages éparpillés par monts et par vaux portaient leur artisanat et leurs récoltes de fruits et légumes pour les vendre aux passagers des véhicules qui traversent leur région. Le voyage représentait pour moi une mosaïque de couleurs et de saveurs. Une voiture remplie d’une nourriture différente qui sentait l’ailleurs. On la dégustait dans la cuisine à l’odeur de feu de bois, de ma grand-mère maternelle.
Les sentiments de bonheur que j’y ai associés font que ce sont là mes principaux souvenirs d’enfance.
Mes parents étaient des gens heureux. Généreux de leur temps et de leur amour. Mon père était un insatiable curieux animé par le désir de découvrir ce que l’horizon tentait de nous cacher et ma mère, une supportrice indéfectible de ses projets.
Tous les déplacements avec mes parents ressemblaient à la découverte d’un nouveau monde.
Mon père engageait la conversation avec chaque sourire qui lui parvenait. Ma mère partageait nos repas avec chaque moins bien nanti que l’on croisait.
Notre maison était un abri, un refuge, une halte, un réconfort. On y accueillait aussi bien des proches que des inconnus envoyés par des amis. L’adage « les amis de mes amis sont mes amis » n’a jamais aussi bien porté son sens que chez mes parents.
Exister en pleine confiance
J’ai donc grandi comme chaque enfant devrait grandir. Dans l’insouciance. Dans l’émerveillement. Sans appréhension de l’autre. Sans méfiance.
Dans mes oreilles d’enfant, les étrangers avaient toujours des histoires extraordinaires. Ils racontaient des mondes que je ne connaissais pas. Leurs malheurs ressemblaient aux histoires des livres. Mais leurs bonheurs semblaient aussi simples que les miens.
C’est ainsi, dans cette candeur et le plaisir de découvrir d’autres vies et d’autres mondes, que je me souviens avoir partagé avec eux, nos plats de riz rouge, ce riz au goût légèrement sucré. Typique de Madagascar, on le dégustait au petit déjeuner, accompagné de kitouz.
Le « kitouz » c’était des tranches de zébu, fumées dans la petite cuisine de ma grand-mère et emportées vers la ville à la fin des vacances, comme des trésors fabuleux. Pour les autres repas, le riz était garni de viande sauté et de légumes. On terminait les repas en buvant du ranovola, signifiant littéralement « eau d’argent », une boisson chaude à base de riz cuit grillé.
Lorsqu’un jour mes parents voulurent voir ce que l’horizon dissimulait au bout de l’océan, nous avions déménagé à l’Île de la Réunion. L’itinéraire en voiture ou en train pour rejoindre la famille s’était transformé en trajet dans les airs.
Pour diverses raisons, je ne les avais rejoints qu’après une année que j’ai passée chez mes grands parents. Durant cette année-là, j’étais la petite fille de la capitale, qui fréquentait l’école des enfants de la campagne. J’étais celle qui ne savait pas écrire sa langue maternelle, puisque j’étais auparavant scolarisée dans une école en français.
J’étais devenue l’étrangère de qui on attendait des histoires extraordinaires. Dans les yeux de mes camarades qui pour certains parcouraient des kilomètres à pieds pour rejoindre l’école, depuis leurs villages isolés, sans électricité, mes récits des films que j’avais vus a la télé étaient un voyage. Pour eux, mes malheurs ressemblaient à ceux d’un autre monde. Mais mes bonheurs étaient aussi simples que les leurs.
Les plus grands me prenaient sous leur protection, les plus curieux me faisaient parler, les plus timides me souriaient de loin. Une attention, une écoute, de la bienveillance, tous semblaient avoir envie d’offrir quelque chose de spécial à l’étrangère que j’étais.
J’ai découvert qu’être l’étrangère, paraître différente, pouvait être un privilège.
Être différent, comme tout le monde
Mon adolescence s’est déroulé au parfum de litchis, au goût de sachets de tamarin pimenté et de mangues-carottes de la Réunion. Si vous n’avez jamais eu cette sorte de mangue sous le nez, surveillez votre épicerie exotique pour ne pas manquer une chance d’y goûter la saveur de ce que pourrait être l’Eden. Si dumoins, le paradis était tropical 🙂
Je suis arrivée au primaire, en ayant oublié le français de mon ancienne scolarité. Après un an de scolarisation dans ma langue maternelle, mon niveau de français m’avait fait pleurer devant le premier zéro de ma jeune vie. Pour une dictée.
J’allais devoir travailler plus pour être comme les autres. Ma mère avait pris à coeur de me faire réussir à l’école. Des longues heures à travailler à la maison, j’ai retenu que l’intégration demandait des efforts et d’accepter de se comparer aux autres.
J’apprenais alors qu’être l’étrangère, être différente, pouvait également être personnellement exigeant.
Je m’appliquais à être comme tout le monde. Même si à la Réunion, tout le monde est différent. Ce n’est pas pour rien que cette île porte son nom.
Je me souviens de points rouges sur des fronts, de dessins au henné sur des mains, de chapelets avec une croix en bois pendus à des cous. Aucun signe n’était ostentatoire.
Beaucoup de peaux étaient métissées. Certains yeux étaient bridés et d’autres étaient verts. Certains cheveux étaient blonds sur une peau dorée par le soleil et d’autres étaient crépus sur une peau ébène brillant sous le soleil.
La Reunion était mixité, mélange pacifique des races et des couches sociales.
Même si je m’appliquais à essayer de ressembler aux autres, j’étais juste différente, comme tout le monde.
J’ai ainsi appris qu’être different était normal. Humain.
A chacune de leurs fréquentes cérémonies, nos voisins tamouls nous conviaient à d’opulents repas aux effluves d’épices indiennes. Nous dégustions du riz safrané et du cabri massalé.
La viande de cabri était préparée selon des rituels précédant les marches sur le feu dans la chapelle hindou située au bout de notre ruelle.
Au retour de l’école, je partais faire du vélo ou jouer au foot avec les garçons du quartier. Il n’y avait pas de filles de mon âge autour de chez nous.
Mes dimanches s’étendaient sur des plages escarpées de laves figées. Les pères pêchaient. Les mères discutaient. Les enfants jouaient à découvrir la faune entre les coraux. On peut dire que j’avais grandi au grand air. Je n’ai pas de souvenirs malheureux de cette époque. Mes bonheurs étaient simples. Au son de l’océan.
Être ailleurs, proche de soi
Baccalauréat en poche, j’étais piquée, moi aussi, par l’irrésistible envie de voir ce qu’il y avait derrière l’horizon. Tout comme mes parents. Les mystères de la génétique sans doute.
Je me suis ainsi aventurée seule en France métropolitaine. Les fruits que je cueillais dans les arbres chez moi ou chez les voisins, s’étaient transformés en fruits en boite d’un placard d’étudiante. Le riz à l’odeur du rougail saucisse ou du cari poulet était devenu du riz fade au goût de « la maison est si loin ».
D’ailleurs faute de savoir cuisiner les sauces d’accompagnement, j’avais adopté les pâtes de blé pour leur facilité de préparation. Une noix de beurre et un peu de fromage et j’étais prête à accueillir mes lendemains. J’avais abandonné mon aliment principal, culturel, identitaire : le riz.
Je mangeais des cassoulets en boîte, du maïs en boite, des litchis en boîte. D’ailleurs, je vivais dans une boîte. Mais une boîte remplie de liberté. C’était mon petit studio universitaire.
Tout ceci se passait dans la joie de rencontrer des étudiants du monde entier. Mon dépaysement se colorait au fil de mes rencontres. Les amis brésiliens se faisaient une fête de partager les délicieux feijoada de leur nostalgie du Brésil, lors de joyeuses soirées dansantes. Les copains des Antilles nous rassemblaient autour de succulents colombos de poulet en chantant leurs souvenirs. Un ami indien m’avait fait découvrir le biryani de poissons de la recette de sa grand-mère. Vous savez ? Cette recette qui est toujours bonne même quand on a l’impression de l’avoir loupée, tellement elle s’est chargée d’amour depuis notre enfance.
Qu’avaient en commun tous ces plats ? Le riz bien sûr !
Du riz long, immaculé, qui s’imbibait de sauce à la couleur des pays que nous avions quittés. Du riz blanc qui devenait aussi coloré que le mélange de nos cultures. J’avais renoué avec l’aliment de mes racines.
Que nous étions de la région toulousaine, de Norvège, du Maroc, de Chine, d’Espagne, des Antilles, du Liban ou du Sénégal, nous nous étions créé une famille. Notre famille de voyage. Nos malheurs ressemblaient à des pays lointains. Nos bonheurs étaient aussi simples que bruyants de rires.
J’ai appris que la différence pouvait rassembler.
L’acceptation de la différence pour apprendre
Les diplômes dans une poche et les premiers salaires de travailleuse à temps plein dans l’autre, je découvre la cuisine française, aussi exquise en gastronomie, qu’en petits plats pré-cuisinés. A cette époque, mon riz se transforme en pommes de terre, sous toutes ses formes. Des frites, de la purée, des pommes dauphines, des pommes sautées à la graisse de canard, aux raclettes, tartiflettes et autres aligots, mes papilles faisaient alors le tour de France.
Ici, ce ne sont pas les autres aliments qui accompagnent le riz, mais c’est le riz qui est un accompagnement.
Mes congés et mes week-end sentaient les prairies pyrénéennes et les chemins de randonnées. Je me connectais à la nature sur des sentiers parsemés de framboises sauvages que je pouvais cueillir et manger tout en respirant le grand air.
Je n’étais plus en voyage. J’étais enfin chez moi.
J’ai découvert des montagnes plus hautes que celles de mes souvenirs. J’ai appris que les neiges pouvaient être éternelles. La chaîne irrégulière de montagnes des Pyrénées avait remplacé l’horizon rectiligne de l’océan, lorsque je fermais les yeux.
L’amour dans l’acceptation de la différence
Puis, je rencontre mon partenaire de vie, mon amoureux, le père de mes enfants. Nos origines et nos cultures sont différentes. Nos personnalités sont parfois à l’opposé. Mais les valeurs qui nous portent nous rapprochent un soir d’été, sous les étoiles, face à l’Atlantique. Nous avions senti que nous unir rendraient plus simples nos malheurs et que nos bonheurs en seraient plus grands.
J’ai compris que les différences pouvaient s’unir et faire grandir.
Nous étions aussi curieux du monde l’un que l’autre. Avec une insatiable envie d’aller voir au-delà de notre horizon. Nous étions des âmes voyageuses. C’est ainsi que nous décidions de traverser l’Atlantique pour nous aventurer au pays des caribous.
Notre maison était aussi lumineuse que le coeur de nos nouveaux amis. Nos hivers étaient aussi froids que les québécois étaient gentils. Nous avons adopté le Québec et cela a été réciproque.
Notre quartier au bord du fleuve St Laurent prenait des airs de station balnéaire peuplée de flâneurs et de plaisanciers durant l’été. Après les premières tempêtes de neige en hiver, il était exploré par des promeneurs chaussés de ski de fond, glissant le long de l’eau gelée.
Malgré ce tableau idyllique, en devenant mère, à deux océans de mes racines, j’ai commencé à sentir le poids de la distance géographique avec ma famille. C’est peut-être la raison pour laquelle je nourris mes enfants de ma nourriture de référence. Celle avec laquelle moi-même j’ai grandi.
Je leur prépare du riz et je prends goût à leur cuisiner des plats aux saveurs de ma jeunesse. Mais au coeur d’un Montreal, cosmopolite, nous nous délections aussi bien de la poutine et la tarte au sucre d’érable des cabanes à sucre, que des arancini, ces boules de riz farcies, du café italien du coin.
Parfois, nos dimanches se savouraient à même l’immense poêle à paella de nos amis espagnols.
Le riz était du voyage.
Nos malheurs étaient soulignés par l’éloignement avec la famille. Nos bonheurs étaient aussi vastes que les étendues de lacs couvrant le pays.
De mes expériences et des opportunités qui se sont présentées sur ma route, j’ai appris dans ce pays que le travail, plus que les connaissances, pouvait ouvrir toutes les portes. Sur un territoire aussi immense que vert (ou blanc selon l’époque de l’année), j ’ai découvert une illustration de l’égalité des chances.
J’ai ancré que la différence était une richesse.
Être soi malgré les différences
Puis l’horizon nous a de nouveau cligné de l’oeil. Avec un air mystérieux, il nous révélait quelques clichés d’un pays que je ne connaissais qu’à travers les dessins animés de mon enfance et les souvenirs des leçons d’histoire sur la seconde guerre mondiale. On y mange des sushis, on y boit du saké, on lit des mangas et il y a des robots partout.
Voilà le tableau que mes enfants et moi avions en tête concernant notre destination. Il nous aura fallu quelques semaines de marathon pour, entre autres vider notre maison, vendre nos voitures et empaqueter les quelques affaires qui nous accompagnaient. Puis, nous nous réveillions au pays du Soleil levant.
De nos démarches administratives à notre intégration sociale, nous slalomons entre modernité et tradition. Le Japon est deux mondes.
Dans une atmosphère insaisissable, la fierté et l’évidence quotidienne d’une culture ancestrale se mélange avec l’effervescence d’une modernité futuriste.
Ici, le riz revisite toutes les formes, tous les voyages. Du cari qui l’arrose d’une sauce sombre, liquide, qui sent l’Inde, aux feuilles d’algues qui l’enveloppent en triangle d’onigiri, le riz rond japonais s’adapte à tous les goûts. Le pays se nourrit de riz du matin au soir. Même les douceurs sont faites à base de pâte de riz gluant écrasé, le mochi. J’observe, avec curiosité, que le sushi n’est pas aussi consommé que dans mes à priori.
Sur ces terres qui sentent le propre, je découvre combien on peut prendre soin des individus tout en favorisant le bien être collectif.
Derrière leur air détaché, les gens que nous avons eu le plaisir de rencontrer, portent un incroyable sens du respect de l’autre.
Alors que les premiers mots que l’on s’amuse à apprendre en voyage sont des gros-mots, au Japon, on apprend d’abord des formules de politesses et les déclinaisons d’excuses diverses.
Dans toutes ses nuances et ses subtilités, le Japon est difficile à raconter. C’est un pays qui s’apprend dans des codes stricts et qui se vit dans la délicatesse.
Je comprends mieux la fascination des autres habitants de la planète pour cet archipel original.
Fidèles à son rang de pays parmi les plus verts du monde, au sens littéral du terme, ses montagnes couvertes de forêts nous offrent des fins de semaine de ballade durant lesquelles nous nous sentons comme à la maison. Nous découvrons les vertus de la reconnection à la nature à travers le shinrin-yoku, la sylviothérapie aux multiples bienfaits sur le bien-être.
Mais la réalité de la fracture linguistique continue de nous rappeler que malgré l’incroyable hospitalité des japonais, nous sommes ici des étrangers. Même si avec le thé au riz grillé, parfois mélangé au thé matcha, je savoure chaque jour une reconnexion au « ranovola » de mon enfance, je sais que je suis de passage.
J’ai appris que la différence ne s’efface pas. Elle est invitation à la découverte.
L’acceptation de la différence
L’acceptation de la différence est un appel à l’expérience de l’ailleurs, de l’autre, mais aussi de soi.
Du riz rouge au sushi, j’ai fait ce voyage de l’acceptation de qui on est. Dans toute notre différence.
C’est une des raisons qui m’ont fait choisir d’accompagner ceux qui ressentent le besoin d’accepter leur différence pour une plus grande confiance en soi. Ceux dont les malheurs ressemblent à ne pas avoir trouvé sa place, mais dont les bonheurs sont aussi simples que les miens.Parce que peu importe d’où l’on vient, notre histoire et notre cheminement intérieur, chaque personne a besoin d’être soi, zen, pour agir en pleine confiance.