Voir Hiroshima, un voyage qui change une vie
Cet article participe à un carnaval d’articles sur le thème « Le voyage qui a changé ma vie ».
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Un soir d’été, soixante-quinze ans après
Après plusieurs heures de route au milieu de la verdure dense et profonde des montagnes et après avoir traversé des tunnels tous aussi longs les uns que les autres, nous arrivons ce soir-là à Hiroshima.
Nous laissons la voiture non loin de l’hôtel qui va nous accueillir pour quelques nuits. Une petite ballade pour se dégourdir les jambes s’impose.
À quelques centaines de mètres de là se trouve le centre historique. Poussés par l’évidence du but de notre voyage, mais ralentis par la fatigue qui s’installe, nous nous y dirigeons d’un pas nonchalant .
La ville nous paraît calme. Il y plane un sentiment de sérénité. Elle se repose sans doute de la multitude de pas qui a foulé son sol, quarante-huit heures auparavant. Son coeur venait d’accueillir la cérémonie de commémoration de la première attaque nucléaire de l’histoire, en présence des survivants, des proches des victimes, du Premier ministre du Japon et de quelques dignitaires.
Cette année-là, pour les raisons sanitaires et de distanciation sociale, les autres familles du pays avaient été invitées à suivre l’événement sur leurs écrans, chez eux.
Depuis le pont que nous empruntons, nous apercevons le secteur du parc du Mémorial de la Paix. La température de l’air est agréable. Les enfants apprécient de marcher. L’atmosphère semble légère, comme un soir d’été.
Captivée par la disparité des bâtiments qui occupent les alentours, je ne me rends pas compte de la distance parcourue. C’est avec surprise que j’entends mon époux nous dire « Il se situe là le Dôme. Nous sommes près de l’épicentre où a explosé la bombe A ». Mon regard s’arrête alors sur un bout de toit. C’est la seule partie de l’édifice que les arbres nous dévoilent et qui n’est pas dissimulée par le tramway qui passe.
Tenir debout pour l’espoir
Quelques pas plus tard, nous voilà au bord de la rivière, face au Dôme de Genbaku, le bâtiment symbole de ce qui est resté debout après la déflagration de la bombe atomique. Classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, il a été préservé dans son état. Pour se souvenir. Au nom de l’Espoir.
Une sensation indéfinissable m’envahit. Mes yeux voient, mes oreilles entendent, mais mon esprit se dissipe, laissant mon corps sans commande pour de longues secondes. À l’heure où on déambule dans ces rues, sur cette rive, il y a exactement 75 ans et 2 jours, il ne restait déjà plus que cendres et désolation. Mais ce bâtiment a résisté. Témoin de l’art et du génie de la construction et de la destruction des êtres humains envers eux-mêmes.
Alors je regarde ces gens que l’on croise, ces familles qui se promènent, les enfants qui s’amusent, ces lumières qui brillent… Je me dis qu’avec le pire de ce qui peut sortir de l’humain, il suffirait de quelques secondes pour que tout ce qui nous entoure disparaisse. Toute forme d’existence. Toute trace humaine.
Mais, une délicate musique nous provient de la berge opposée.
Un groupe de jazz offre un concert, juste au bord de la rivière. L’ambiance s’anime. Le monde avance.
Un voyage qui change des vies
Le lendemain, nous visitons le Musée de la Paix. Les photos sont dures. Vraies. Elles affichent l’horreur.
Ces gens brûlés qui se plongeaient dans l’eau contaminée pour étancher la soif qui les consumait de l’intérieur. Des regards incrédules. Des visages pétrifiés. Des ombres laissées sur le sol, comme unique trace d’une existence.
Ces scènes me rappellent que nous sommes bien peu de chose et que la vie bat au rythme de secondes qui peuvent se révéler autant lumineuses que sombres.
J’ai grandi avec une éducation dans laquelle la mort ne représente pas un tabou. Je savais donc que ce n’était pas de la voir qui faisait naître en moi le trouble pénétrant qui m’envahissait face à ces images. D’ailleurs, vous vous souvenez surement, vous aussi, de les avoir aperçues dans les livres d’histoire de l’école.
Alors que je me dirige vers l’immense hall de la sortie, je ressens le besoin de me poser. Je m’assois.
Sur le grand mur blanc qui se dresse devant moi, des citations défilent. Ce sont les impressions de personnalités renommées qui ont connu cet endroit. Mes yeux s’arrêtent sur l’une d’elles. Cette célébrité dit en quelques mots qu’avant de venir ici, elle savait l’histoire, comme chacun d’entre nous.
Mais elle n’avait pas imaginé, avant de respirer l’air de ces lieux, qu’il y aurait un « avant » et un « après » cette visite.
À ce moment précis, je comprends.
Ces mots auraient pu être les miens.
Renaître par la résilience et la foi
À l’extérieur, dans la vibration paisible de cette cité entièrement reconstruite, à travers les gestes de ces quotidiens qui ressemblent à tant d’autres, le temps passe comme n’importe où ailleurs.
Sillonnée par sept rivières, l’agglomération bénéficie d’une géographie privilégiée. Sa topographie particulière favorise les mouvements de l’air et de l’eau entre la mer et la montagne, comme l’explique l’architecte japonais Hiroshi Sambuichi, dans la vidéo de Louisiana Channel que vous pourrez visionner ci-dessous.
Dans cette situation exceptionnelle, la nature est revenue et a occupé l’espace de façon inattendue, peu de temps après le désastre.
Le retour de la verdure, en douceur, a magnifié l’énergie de quiétude et de paix que l’on ressent dans ses rues. Rien ne laisse penser que ce sol sous nos yeux aujourd’hui a pu expérimenter le pire dans le passé.
Sans doute comme tant de personnes qui portent en elles des cicatrices invisibles.
De la même façon qu’un individu qui a connu l’anéantissement de son être, à un moment dans son parcours, la ville s’est redressée. Élevée par la foi et la confiance en un lendemain meilleur. Elle a été détruite et elle s’est relevée. Sans perdre espoir.
Hiroshima nous murmure, avec force et résilience, que l’on peut renaître de ses cendres. Revivre.
Sans oublier.
Bien au-delà des faits historiques, ce voyage m’a apporté une immense leçon de vie que j’espère avoir su au moins un peu partager avec vous.